Seb Cazes, dessinateur et illustrateur

Illustration de Seb Cazes


Voici une Interview réalisée en 2008 par Laure Delahaye pour le magazine WebCulture qui présente le talentueux artiste Seb Cazes.

Interview de Seb Cazes

J’ai découvert tes illustrations grâce à myspace, et j’ai eu tout de suite envie de te demander comment as-tu découvert cette envie de dessiner ?

Impossible de répondre, ça fait partie de moi, je ne me souviens pas ne pas avoir tenu un crayon dans mes mains depuis le plus jeune âge. J’étais sage comme une image. Si on voulait me canaliser, hop, on me donnait des feutres et une feuille, et on entendait plus parler de moi. À cette époque, je ne sais pas pourquoi ça me plaisait, mais ça ne m’a jamais quitté…

Tu as étudié aux Beaux-Arts de la ville d’Angoulême, qu’est-ce que l’école t’a apportée dans ta pratique ?

 Illustration de Seb Cazes
Illustration de Seb Cazes

Hum, disons qu’une école apporte forcément un milliard de choses… avec le recul, je me rends compte que je manquais de rigueur, que je ne chipotais pas assez sur les détails, que je n’allais pas assez loin dans mes démarches; et puis, mis à part l’émulation que ça créé de côtoyer des gens tout aussi créatifs les uns que les autres, on peut partir sur des bases techniques qu’on n’a pas forcément en y entrant (je ne savais pas me servir d’un ordinateur par exemple) et ça peut servir par la suite pour la vie professionnelle. Paradoxalement, ce que j’aurais à lui reprocher, c’est qu’elle ne m’y a pas assez préparé, à la vie professionnelle, qui est remplie de contraintes juridiques et techniques. Dans la pratique pour finir, l’école est là pour entretenir la flamme de la passion que tu as en toi, à la canaliser, à l’orienter. Je suis allé là-bas pour faire de la BD, j’en suis ressorti avec un diplôme de communication en voulant faire du graphisme et de l’illustration. Outre la rigueur nécessaire à ce métier, l’école apporte aussi une ouverture supplémentaire, ouverture d’esprit, technique, professionnelle pour quelqu’un(es) d’entre nous.

Comment es-tu passé de la bd à l’animation ?

 Illustration de Seb Cazes
Illustration de Seb Cazes

J’en faisais déjà un peu aux Beaux-Arts, des petits essais, des aides auprès de collègues de classe soit en animant soit en filmant ou pour le montage, l’animation m’a toujours intéressée, mine de rien, un peu comme pour le dessin, mais l’école n’était pas équipée pour ça et les profs n’y connaissaient rien. L’animation n’était alors à l’époque rien de plus qu’une passion, une technique à découvrir à moyen terme, mais pas une priorité. Cela dit, au milieu de mes influences graphiques, j’avais quand même pas mal d’influences de gens qui étaient animateurs (Jan Svankmajer par exemple) et qui petit à petit prenaient de plus en plus de place dans ma vie. Après l’école, la ville où je vis, Auch, a accueilli le Festival National du Film d’Animation, où j’ai pu commencer à faire des stages avec des professionnels, rencontrer des gens du milieu, des diffuseurs, des animateurs, ou tout simplement des passionné(es), et grâce à tout ça je me suis lancé dans mon premier film, ça devait être en 2001, parce que je me disais que j’avais envie de connaitre la magie des images animées, le résultat, au service de ce que j’avais à raconter, en me faisant plaisir plastiquement parlant. A la même époque, je suis aussi devenu un inconditionnel du Festival d’Annecy, qui est, je crois, le plus gros festival compétitif au monde. Ce qui me plait dans l’animation, c’est que c’est une grande famille, aux multiples facettes. (Tellement de techniques sont possibles !) C’est d’ailleurs là-bas à Annecy, que j’ai pu rencontrer Jan Svankmajer… que du bonheur ! Parallèlement à ça, je ne m’intéressais plus à la BD, à son côté restrictif (vignettes) et je préférais la liberté d’une illustration ou la magie d’une séquence animée. Mon seul problème depuis 2001, est de me dégager assez de temps dans l’année pour finir les projets de films que je commence !

Quel est ton statut actuel niveau professionnel ?

C’est tout bête, j’ai le statut d’artiste auteur indépendant à la Maison Des Artistes. J’ai ce statut depuis 2004 je crois, car entre le diplôme et ça, j’étais employé dans un théâtre en tant que graphiste.

À part ça, je n’aime pas les étiquettes, alors c’est la seule que je me donne, et encore, quand on me pose la question ! Je bosse surtout pour le milieu culturel, pas pour des agences, je bosse pour des théâtres, des compagnies de cirque, de danse, de théâtre, parfois pour de grosses structures, parfois pour des petites associations. Je ne bosse pas du tout dans certains domaines, comme la presse, l’internet, la pub… ha et aussi si on me demande je peux filer un coup de main pour déménager.

 Illustration de Seb Cazes
Illustration de Seb Cazes

C’est d’ailleurs tout le problème de ne bosser quasiment que pour ce milieu, parce que les structures dépendent des subventions qu’elles touchent – ou pas – chaque année, mes projets peuvent en partir, et les petites associations n’ont pas les moyens de s’aligner sur un semblant de tarif de graphiste pour se payer un job de qualité pour mettre en valeur leur spectacle, c’est un peu le serpent qui se mord la queue, puisque je ne peux évidemment pas bosser gratos. Bosser dans le sud-ouest nécessite certes moins de frais dans la vie de tous les jours, mais il y a potentiellement moins de clients, et surtout qui ont moins de budget. D’où l’importance d’être bien présent sur internet, à mon avis, et surtout, efficace. Ce qui est loin d’être mon cas.

Jusqu’où peux-tu imposer ton univers graphique dans ton travail ?

Je ne vois pas vraiment les choses comme ça, mais c’est vrai que des fois je dois batailler. En général, on me contacte parce qu’on aime mon boulot et mon univers graphique. Tel ou tel client voudra donc une orientation graphique dans le style, je n’ai donc pas vraiment à me faire violence à ce niveau là puisque c’est la première contrainte qu’on me donne, voir ma « patte ». Mais la contradiction étant loin d’être éradiquée chez l’espèce humaine, j’ai eu affaire à des gens qui, après des heures de discussion, décident que le travail ne leur convient pas et me réorientent vers un truc beaucoup plus « classique »… vu que je ne fais pas grand-chose au hasard (bien que le hasard ait une grande place dans mon travail) au moment de remettre une proposition surtout, je peux toujours prouver par A + B pourquoi tel élément est là et pourquoi telle couleur est comme ci ou comme ça. Les clients sont là pour chipoter, mais moi je ne suis pas là pour perdre quelconque intégrité du moment que j’ai bossé avec sincérité et conviction. (Et accessoirement, avec passion, et pas pour le fric) – là, je peux pousser assez loin parce que je ne vois pas pourquoi je lâcherais quoi que ce soit dans un travail qui m’a fait transpirer, mais en même temps, il est normal que le client ait le dernier mot, il faut trouver la juste balance à un moment donné, et s’armer de patience avec certain(es) (surtout ceux/celles à la base, qui ne savent pas trop ce qu’ils/elles veulent). Je dois avouer que ça dépend beaucoup de mon humeur, de mon état à ce moment-là, il y a certaines fois, où je ne lâcherai rien, et d’autres, où je serai le mec le plus sympa de la planète. Mais pas au point de faire n’importe quoi. Le problème, c’est qu’une fois que je pars sur un projet, je suis à fond dessus, et donc, je n’ai pas envie que tel ou tel grain de sable vienne gripper la machine. Et pour ça, jusqu’à présent, je n’ai trouvé qu’un seul ingrédient : la prise de recul ! Prise de recul par rapport à soi, au boulot, et à la psychologie du client !

La nature/écologie mise en opposition aux croquis de villes, rues, toitures, prennent une grande place, comment est-ce que tu te situes par rapport à ça ?

Je ne sais pas si j’appellerais ça une « mise en opposition », disons en tout cas qu’il est indéniable que ma vie, sur plusieurs abords, est duelle, voire schizophrène. La nature est un besoin, un truc que je n’essaye pas de comprendre, je suis écolo dans l’âme (et pas politiquement parlant), tout petit, j’avais mal quand je voyais des arbres se faire arracher, je ne sais pas pourquoi et ça ne m’intéresse pas de le savoir. La ville, le côté urbain archi présent (c’est le cas de le dire) dans mes illustrations, c’est, je pense, un besoin de voir ailleurs, de me créer un imaginaire de villes dans lesquelles je n’habiterai jamais (Paris, San Francisco, Toronto…) à la fois mêlé à mes influences indéniables depuis longtemps (de Crécy etc.). Mais aussi et surtout, la recherche du détail et de la matière, qui sont primordiaux dans mes recherches graphiques. Plus je dessine, plus j’ai envie d’être précis et de rentrer dans le détail (pas systématiquement) et plus je crée, plus j’ai une soif de matière à étancher (matière à travers le collage, la photographie d’espaces urbains délabrés, ayant « vécu », je trouve ça magnifiquement beau. Voire un simple Polaroïd et la texture spécifique qu’il crée combinée au fait que le support soit unique etc. Tu me parles de nature/écologie et du côté urbain. Disons que la nature ce n’est pas spécialement un truc que j’ai besoin de dessiner ou de retranscrire (à part en photo), je peux me contenter de contempler, le reste, je dépasse ce stade-là pour l’ingurgiter, le digérer, et le retranscrire en mettant en valeur la matière que j’affectionne tant. Je te réponds très spontanément parce qu’honnêtement, je n’ai jamais vraiment réfléchi à la question. La nature, j’en ai un immense besoin. Il y a deux mois, je suis allé en Californie juste parce que je voulais voir les plus grands arbres du monde et que c’est là que pousse spécifiquement le séquoia géant et quand je disais aux américains là-bas que j’avais fait 15h d’avion juste pour des arbres, ils ne me croyaient pas. Je ne regrette rien parce que ces images resteront gravées à jamais. Tout le reste, la texture qui rentre en compte dans le côté urbain de mes illustrations ou autres, ça fait partie de la vie de tous les jours. C’est juste la capacité de s’étonner de ce qu’on a sous les yeux. Un mur pourri me fascine, que voulez-vous, je suis rassuré de voir que je ne suis pas le seul ! La nature et l’écologie me servent de temps en temps de prétexte pour en parler dans tel ou tel film ou illustration qui devient de ce fait « engagée » – le reste, c’est de l’esthétique pur. Une matière au service d’un sujet tel que l’écologie, mais pas que. Ce n’est qu’un sujet parmi d’autres, qui me tient particulièrement à cœur. (Et à raison)

Je remarque qu’il y a une certaine homogénéité dans les couleurs que tu emplois, avec quel médium te sens-tu le plus à l’aise ?

Par rapport à ce que je viens de dire, quand je m’exprime, je donne priorité à la recherche de matière, j’ai besoin de sentir le support, et la couleur qui s’étale dessus. Je ne sais pas ce que tu entends par « couleurs homogènes » mais je ne me pose pas trop de questions, je suis au service de l’illustration, et de son sujet. De temps en temps j’aime bien faire les couleurs sous Photoshop, mais de temps en temps seulement. Et au pire, il y a toujours un dessin fait à la main avant. Une œuvre sans matière ne me satisfait pas pleinement. D’ailleurs je suis rarement satisfait faut bien le dire. Ça me fait avancer c’est le point positif. Je préfère de loin bosser à l’aquarelle ou à l’acrylique, qu’avec ma tablette graphique. Si je fais une illustration sous Photoshop, je sais que je ne pourrai pas m’empêcher d’y rajouter de la matière, sinon je me maudis. C’est un besoin. Je suis consciemment et inconsciemment imprégné de ça. Mes influences diverses me poussent dans ce domaine. Il y a des choses qui te parlent et d’autres pas. Jan Svankmajer, Lars Henkel, les Frères Quay, ça me parle directement droit dans le cœur ; tous/toutes les nouveaux/velles illustrateurs/trices qui ne bossent qu’avec une palette graphique, ne me fait ni chaud ni froid, ça me dérange pas, c’est tout, j’aime quand c’est bien dessiné ou rigolo, mais ça s’arrête là, le lendemain, j’aurai oublié. J’aime quand je vois une illustration, et que je me dis que la couleur sort des tripes. Il y a des gens qui combinent bien les deux, ordi + matière, à travers la photo et le travail un peu à l’ancienne, c’est bien, mais je crois qu’ils ont pas compris qu’il fallait arrêter de pomper Dave Mckean, et être un peu soi-même. Moi j’ai pas la prétention de faire du ci ou du ça, juste de pas me mentir, d’être sincère et de toute façon sur un boulot de commande c’est le premier pas pour être capable de se vendre correctement. Il y a des gens qui bossent presque qu’en noir et blanc aussi, ou du moins qui ont évolué comme tel, et qui me touchent d’une manière impressionnante. Gianluigi Toccafondo est un dieu pour moi, je l’ai découvert à travers ses premiers films d’animation en Rotoscopie il y a des années, son approche de la couleur m’a toute de suite rendu dingue, des années après, son dernier film est en noir et blanc, et nuances de gris, et est tout à fait fabuleux aussi. Ce mec a tout compris à l’approche de la couleur combinée à la matière. Ce sont des gens comme ça qui me font aussi avancer…

Quelle sont tes projets actuels, expositions ?

Hum, actuellement, je suis enfermé chez moi comme un ours dans sa grotte, parce qu’après moultes boulots de commande qui ne me laissaient guère de temps libre, j’ai décidé de me recentrer sur ce que j’avais à faire… Chaque année j’essaye d’avancer sur un film d’animation mais cette année j’ai décidé de bosser sur une BD (hé oui !) qui devrait sortir au printemps 2009. L’idée de la BD n’était pas acquise d’avance, mais en me baladant dans les différentes librairies qui distribuent mon boulot, je me suis rendu compte que je n’avais plus rien à laisser, toutes mes publications étant épuisées, et mes dernières, une série de 3 flip books, remontent à 2003 ! Alors c’est bien chouette d’envoyer des films dans des festivals mais là j’avais envie de revenir un peu aux sources, alors j’ai rassemblé tous mes textes les plus absurdes, des rêves, des souvenirs de voyages, des dessins de carnets de voyages, et des idées à la pelle, pour créer le scénario du « dresseur de chevreuils ambidextres ». J’en suis à 4 planches de terminées, j’ai encore du boulot, mais je suis motivé. Je n’en dis pas plus pour l’instant parce que tout n’est pas encore bien calé. Mais par contre, dans le cadre de la sortie de cette BD, je recherche une série d’expos pour 2009, donc je suis en train de voir où je pourrais exposer à Toulouse, Bordeaux, Auch, Paris… Pour fêter ça et faire découvrir en même temps le dernier né, je sortirai tout un tas de produits dérivés comme tout le monde, des affiches sérigraphiées, des cartes postales, des écharpes, des chaussettes, des figurines en plastique dans les Choco pops etc. (Euh non des affiches ça ira en fait). Une fois que j’aurai bouclé ça, je suppose que je me remettrai à faire des films d’animation ! J’ai toujours en projet d’aller vadrouiller à droite, à gauche, pour me nourrir de ce que le monde a à offrir, et toujours continuer à remplir des carnets de voyage, mais par contre, je n’ai pas prévu de les publier un jour…

Peux-tu m’expliquer une dernière chose : Seb… « Le Putois » ?

Haaaaaaaaa, je l’attendais celle-là, enfin, je l’attendais plus du coup… hum, je ne suis même pas sûr de me souvenir exactement… je ne crois pas que ce soit lié à mes aisselles. Mais dans tout ce que je fais, j’ai toujours eu une écriture très spontanée, proche de l’écriture automatique des surréalistes, j’ai écrit pas mal de textes comme ça, fait des formules qui m’ont servi de base à des illustrations, ou même des illustrations tout court. « Le putois » ne vient pas du fait que je sois spécialement passionné par cette bestiole ou que Bambi soit mon dessin-animé préféré, je crois que c’est venu tout seul, un jour comme ça sans réfléchir et spontanément. Tout comme étant venu le nom de notre association d’auto-édition, « Presse à Grumeaux », et plein d’autres choses… C’est un peu le cas aussi pour le titre de la BD et bon nombre de textes qui la composent. Je suis désolé de devoir expliquer ça, il n’y a plus aucune part de mystère là-dessous, c’est triste… à une époque, je ne voulais aussi tout simplement pas utiliser mon nom, et puis, je me suis ravisé, là, j’utilise le putois de moins en moins, déjà que je ressemble à un ours quand on me voit, ne faudrait pas que j’atteigne un niveau zéro de crédibilité en gardant ce nom…

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